On savait qu’elle tapissait peu à peu les fonds du lac Léman. On savait aussi qu’elle mettait nos stations de pompage sous pression en bouchant les embouchures des tuyaux de captation. On a également appris qu’on leur devait probablement l’étonnante transparence des eaux lémaniques observée l’été passée.

Aujourd’hui, la moule quagga refait parler d’elle en s’invitant cette fois-ci hors de l’eau, directement sur certaines rives du lac. Elle a notamment été photographiée par une promeneuse du côté de Bursinel. Des centaines d’individus morts ont été immortalisés jonchant le sol. Des images impressionnantes qui évoquent davantage les plages du nord de la France que celles de La Côte.

Le phénomène est nouveau et du coup encore mal connu, mais vu la prolifération effrénée de cette espèce, nous n’en sommes probablement qu’au début. «A vrai dire, je suis même surpris qu’il n’y ait pas davantage de coquilles sur nos plages en hiver», commente Romain Savary, biologiste au sein de la section chasse, pêche et espèces de la Direction générale de l’environnement du Canton de Vaud.

Un cadeau de la bise

Selon le spécialiste, la tempête de bise qui a balayé la région à la fin du mois de février pourrait expliquer l’apparition du coquillage sur nos rives. «Les individus morts finissent par se décrocher et peuvent être emportés par les courants», précise le biologiste.

Leur présence sur les rives lémaniques n’est que la pointe d’un iceberg.

Romain Savary, biologiste à la DGE

D’après les experts, l’espérance de vie de cette espèce est estimée entre trois et six ans. Comme elle a commencé à coloniser le Léman en 2015, les coquillages aperçus sur nos plages pourraient être ceux de cette première génération. Il faut donc bien s’attendre à ce que le phénomène se reproduise, voire s’amplifie. «Nous avons pu observer que dans les grands lacs d’Amérique du Nord, le pic de la prolifération de l’espèce a été atteint entre 12 et 13 ans après son apparition. Sa présence dans les eaux du Léman pourrait donc encore s’intensifier», développe Romain Savary.

Une filtration massive

La présence des coquilles sur nos plages en hiver ne soulève pas d’inquiétude particulière mais alerte sur le phénomène qui se passe sous l’eau. «Leur présence sur les rives du lac n’est que la pointe d’un iceberg», précise le spécialiste.

Les effets de cette invasion sur l’écosystème lémanique sont encore mal identifiés. Ce que l’on sait, c’est que la moule quagga a déjà eu la peau de la moule zébrée, une autre espèce invasive qui l’avait précédée.

Dans un même ordre d’idée, la transparence de l’eau n’est pas un bon signe, cela veut dire que le mollusque accapare les nutriments microscopiques qui s’y trouvent au détriment des autres habitants du Léman. «La moule quagga modifie en effet la dynamique et l’équilibre du lac», détaille Romain Savary.

Un combat perdu d’avance?

L’intrus met aussi sous pression des infrastructures humaines, à commencer par les stations de pompage qui voient leurs conduits obstrués par l’envahisseur. Et cette colonisation a des effets très concrets sur leurs capacités à puiser dans le Léman. A tel point que les acteurs du secteur s’apprêtent à investir des sommes importantes pour tenter de freiner l’invasion (lire ci-dessous).

Mais, d’une manière générale, lutter contre la moule quagga semble bien être un combat perdu d’avance. «Nous n’avons aucun exemple de lac où elle aurait disparu une fois installée, prévient le spécialiste de la DGE. Il faut en revanche faire le maximum pour éviter qu’elle ne contamine d’autres eaux, comme celles des lacs alpins, par exemple.»

Là encore, la tâche s’annonce complexe. Il suffit d’un paddle mal nettoyé et porteur des minuscules larves de moule pour que la colonisation d’un nouveau milieu ne débute. «Malgré les mesures prises en matière de sensibilisation, ce phénomène était difficile à empêcher dans le Léman», estime Romain Savary.

Que faire de ces coquillages?
Pour l’instant, impossible d’avoir une vision globale des rives concernées par cette invasion de coquillages. Est-ce que les communes concernées devront mobiliser certaines de leurs ressources pour nettoyer leur plage avant la belle saison? Ou le lac finira-t-il par récupérer les coquillages au gré d’une nouvelle tempête? Aucune certitude pour l’heure. Une chose est sûre: personne n’a encore trouvé le moyen de l’utiliser et de valoriser la très envahissante moule quagga.

Léman: les moules quagga envahissent maintenant les plages

Elle recouvre toujours davantage les fonds du lac Léman et depuis peu la moule quagga s’invite aussi hors de l’eau. De nombreux individus morts ont été croisés sur des rives de La Côte.