Pour écouter les chansons désinvoltes de Bastien Bron, une seule option: visiter l’exposition «Vedette 93». La deuxième du nom après «Soixante-quatorze», ensemble de dix installations décalées dont nous avions apprécié l’humour teinté d’absurde en 2021.

Après avoir foulé les scènes du pays avec le groupe de rock The Rambling Wheels, le musicien investit désormais les espaces d’art sous le nom My Name is Fuzzy. Son concept est à la fois ludique et instructif. En associant chansons pop faussement naïves et mises en espace interactives, il interroge notre manière d’écouter et de consommer de la musique à l’ère d’internet.

Pour «Vedette 93», le bidouilleur neuchâtelois a recyclé des chansons d’enfant sommeillant sur une vieille cassette audio, avant de les habiller dans un décor vintage truffé de gadgets et de posters à l’effigie de son double Fuzzy. Une manière de nous divertir tout en nous rendant sensibles au piège du vedettariat. Entretien avant son passage à l’Usine à gaz.

Bastien Bron, dans quelles circonstances avez-vous redécouvert cette fameuse cassette audio dont découle «Vedette 93»?

J’étais en résidence à Berlin il y a trois ans et je faisais des vidéos pour l’anniversaire de mes proches. Quand est arrivé celui de mon père, je me suis souvenu d’une chanson que nous avions écrite ensemble. Elle s’appelait «Les pollueurs». J’ai appelé ma mère qui a retrouvé la cassette. Il s’agissait de l’enregistrement d’un concert donné devant ma famille quand j’avais 8 ans. Musicalement, c’était assez pauvre, mais deux choses m’ont interpellé.

Les textes abritaient une vraie naïveté et quelque chose d’absurde, exactement ce que je recherche dans l’écriture aujourd’hui. On sentait l’émotion sans saisir l’intention. Ensuite, je me prenais vraiment pour une rockstar, pour Bruel ou Sardou, je me souviens que je haranguais les personnes qui étaient assises autour de nous, je les faisais taper dans les mains et je les invitais à des séances d’autographes. Je reproduisais les codes du showbiz de manière inconsciente.

De quoi parlaient ces chansons?

Dans l’une d’elles, «Ma vie», je fantasme une vie d’adulte: je raconte que je vais au bistrot, puis à la boulangerie où la vendeuse me dit que je n’ai pas le droit de payer une miche de pain. Dans une autre, je liste des métiers: escaladeur, voleur d’enfants, guerrier, chanteur, cavalier et la mention ‘si vous aimez les oiseaux’, car je ne connaissais pas le nom du métier d’ornithologue. Il y aussi «The Snowman», chanson touchante dans laquelle je raconte l’histoire d’un bonhomme de neige qui a fondu: dans le jardin, au matin, il ne reste qu’une carotte et deux coquilles de noix sur le sol.

Qu’est-ce que ces textes vous ont suggéré au moment où vous les avez découverts?

Je me suis dit qu’ils constituaient un terrain de jeu riche et ludique qui me permettrait de poser un regard amusé sur le culte de la célébrité qui, poussé à l’extrême, devient ridicule. C’est ainsi que je les ai réinterprétés, remis en musique et mis en scène dans un espace qui rappelle une chambre d’enfant des années 1990. Avec des posters qui s’animent au-dessus du lit, un coffre à jouets qui prend vie, une borne d’arcade, un circuit de voitures électrique.

Nyon, mercredi 11 janvier 2022, Usine à Gaz, portrait de Bastien Bron qui pose devant son exposition, photos Cédric Sandoz

Qui a grandi dans les années 1990 a forcément connu les bornes d'arcade, auxquels My name is Fuzzy redonne ici vie. Photo: Cédric Sandoz

Dans cette chambre, tout est à l’effigie de votre alter-ego Fuzzy. Son image et sa voix saturent l’exposition. Ne craignez-vous pas qu’on vous accuse de nombrilisme exacerbé?

Ce qui compte, c’est le ton, j’essaie de me situer en amont de la parodie, sur le fil entre premier et second degré. Pour l’heure, personne n’est venu me dire que je faisais un énorme egotrip, alors que c’est quand même un peu le cas (rires). Je joue à être une superstar et c’est un jeu narcissique. Mais tant que ça raconte quelque chose et que ça véhicule des émotions, je me dis que c’est ok. Le jour où ça ne servira que ma propre satisfaction, ce sera problématique.

Qu’est-ce qui vous fascine dans les années 1990?

Quand nous avons commencé à conceptualiser cette exposition il y a deux ans, l’esthétique des années 1990 revenait en force. C’était frappant dans les friperies, avec ces pastels que nous utilisons dans l’exposition. Mais je n’éprouve pas de nostalgie pour cette époque. C’est la cassette qui m’a permis d’y replonger avec plaisir. D’ailleurs dans «Vedette 93», nous ne faisons pas dans le réalisme de décors de cinéma, nous sommes plutôt dans la symbolique avec l’usage du carton et cette dimension bricolée qui s’accorde bien avec l’enfance.

J’aime voir à l’œuvre les mécanismes qui font et défont les vedettes, imaginer qu’il peut y avoir 1000 fois plus de gens qui vous connaissent que vous n’en connaissez.

Qu’est-ce qui vous pose problème avec la célébrité?

Ça ne me pose pas problème, mais ça me fascine. J’aime voir à l’œuvre les mécanismes qui font et défont les vedettes, imaginer qu’il peut y avoir 1000 fois plus de gens qui vous connaissent que vous n’en connaissez. Ce ratio démesuré est souvent provoqué par la reproduction mécanique d’un portrait ou d’une image. Un phénomène décuplé par les réseaux sociaux aujourd’hui et qui n’est souvent pas lié aux qualités intrinsèques de la personne. Avec le risque pour la vedette de finir par appartenir aux gens plus qu’à elle-même.

Infos pratiques

«Vedette 93», Usine à gaz, Nyon. Ve 13.01 et sa 14.01 de 18h30 à 22h30; di 15.01 de 11h à 17h. Visites guidées avec Bastien Bron: sa 14.01 à 18h30 et di 15.01 à 14h et 16h. L’artiste se produira aussi sur scène le vendredi 13.01 en première partie du groupe suisse Les Fils du Facteur (21h). Infos et réservations sur www.usineagaz.ch

A Nyon, My Name is Fuzzy titille la vedette qui sommeille en lui

Après «Septante-quatorze», le musicien plasticien Bastien Bron présente «Vedette 93» à l’Usine à gaz. Un nouvel album-exposition mêlant ballades décalées et installations vintage.