Dans la liste des propriétaires du château de Prangins, Bernard – dit Bernie – Cornfeld détonne. Fondateur de la société IOS (Investors Overseas Services), il a été une figure du monde de la finance avant de passer par la case prison.

Aventurier devenu millionnaire, Bernie Cornfeld a flamboyé de Genève à Prangins, avant de chuter, lourdement. Charismatique et charmeur, il était l’ami d’actrices telles qu’Audrey Hepburn ou Julie Christie.

Et pourtant, rien ne le prédestinait à une telle ascension. Né en Turquie en 1927 d’un père distributeur de films, il émigre avec sa famille aux Etats-Unis quelques années plus tard.

Des placements pour toutes les bourses

D’abord assistant social, il donne une orientation radicale à sa carrière en vendant des fonds de placements financiers. Il a 29 ans, débarque à Paris pour démarcher les GI’s, crée IOS, puis s’installe à Genève en 1958 où il constitue des équipes de vendeurs, appelés à rayonner dans le monde entier. Son objectif: mettre le capitalisme à la portée de toutes les bourses.

Personnage flamboyant, tout réussit à Bernie Cornfeld jusqu’à la fin des années 1960: IOS brasse alors 2,5 milliards de dollars à travers le monde et la fortune personnelle de son fondateur est estimée à plus de 100 millions de dollars.

Propriétaire de plusieurs Rolls, toujours entouré de belles femmes, l’homme d’affaires avait acquis un immeuble de sept étages de bureaux et une luxueuse villa à Genève, un château du XIIe siècle en Haute-Savoie, sans oublier un hôtel particulier dans un quartier huppé de Londres.

Créer un centre de formation à Prangins

Prangins? Au début de 1970, le gouvernement américain, propriétaire du château, décide de le vendre pour faire des économies. Les offres ouvertes le 3 février vont de 2,1 millions de francs à… 8.60 francs! Des conseillers communaux pranginois auraient bien aimé que la commune achète la bâtisse, mais le village n’aurait pas pu régater face à l’assise financière d’un Bernie Cornfeld.

C’est par le biais de la Société immobilière Les Abériaux que l’acte de vente est conclu le 11 avril 1970. Selon un article du New York Times du 7 février 1970, Bernie Cornfeld a utilisé ses fonds propres pour acquérir le château car il n’avait pas eu le temps de consulter son conseil d’administration. Il aurait déclaré au journaliste qu’il avait l’intention d’offrir la propriété à sa société pour en faire un centre de formation. Si le conseil d’administration devait rejeter l’offre, il y créerait une université de langue anglaise.

Un certificat pour cinq actions d’IOS Ltd. Londres, 1969. (Photo: Musée national suisse)

Sauf que cet achat coïncide avec la chute de Bernie Cornfeld qui n’avait pas que des amis dans le monde de la finance. En mai de la même année, les actions d’IOS plongent, laissant sur le carreau des milliers de petits épargnants. Il est expulsé du Conseil d’administration de la société qu’il avait fondée.

Onze mois de prison à Genève
En 1973, il est accusé de fraude, notamment par d’anciens employés d’IOS. Après onze mois en prison pour gestion déloyale, il est libéré sous caution. Son montant se monte à 5 millions de francs, un record à l’époque, dont une partie sera utilisée pour indemniser la partie plaignante.
Suite à un procès retentissant, il sera acquitté en octobre 1979. Ses avocats sont Genevois et eux aussi très connus: Marc Bonnant et Dominique Poncet. Après cet épisode judiciaire, Bernie Cornfeld migre à Beverly Hills en Californie où il continue de fréquenter des vedettes telles qu’Elisabeth Taylor et Tony Curtis. Il décède à Londres en 1995.

Des orgies romaines avec des lions

En pleine déroute, le financier a-t-il pu profiter de cette propriété? Selon Bert Cantor, auteur de «Bernie Cornfeld et la prodigieuse aventure de l’IOS», qui l’a bien connu pour avoir été l’un de ses collaborateurs, le château est alors infesté de rats et dans un grand état de délabrement.

Par ailleurs, le château n’est «que» l’un des biens immobiliers visés par l’homme d’affaires dans le secteur de Prangins. Dans sa ligne de mire également: la clinique psychiatrique et une ferme près du lac. A cette époque, rien ne semble impossible pour Bernie Cornfeld. Pas même le projet d’ajouter un sous-sol au château, afin de contourner l’interdiction d’y faire des transformations.

Après avoir appartenu à Bernie Cornfeld, le château de Prangins sera racheté par les cantons de Vaud et de Genève avant de devenir l'antenne romande du Musée National Suisse (image d'archive). Photo: Sigfredo Haro

En savoir plus: «IOS n’est pas l’histoire d’une faillite mais d’un vol!»

Selon Bert Cantor, des fêtes gargantuesques auraient été organisées au château. Un animateur aurait été engagé à cet effet, avec la liberté de dépenser des milliers de dollars pour une soirée. «Il pouvait se permettre d’avoir des idées, ce qui valait aux invités de connaître toute une gamme d’émotions inédites, de l’orgie romaine (avec des lions en cage) à la Nuit dans l’antre du pirate».

Des cars de dactylos d’IOS à ses soirées

Toujours selon l’auteur, des cars auraient transporté des dactylos d’IOS à Prangins; des jeunes femmes dont la mission aurait été de danser avec des invités esseulés. En revanche, l’approvisionnement en boissons alcoolisées était restreint. «Une foule éméchée est souvent difficile à contrôler!» écrit l’auteur.

Entre la famille Guiguer qui a mis le château à la disposition de Voltaire, Joseph Bonaparte, le pensionnat des Frères Moraves ou la féministe et philanthrope Katharine McCormick, Bernie Cornfeld n’était pas le plus prestigieux des châtelains mais certainement le plus extravagant!

Toujours est-il que Bernie Cornfeld aura été durant 4 ans le propriétaire du château de Prangins jusqu’à sa vente aux cantons de Genève et Vaud en 1974. Pour rappel, leurs autorités en font ensuite don à la Confédération pour abriter le siège romand du Musée national.

Bernie Cornfeld, du château de Prangins à la prison de Genève

Au début des années 1970, le château de Prangins a été la propriété de Bernie Cornfeld, un aventurier de la finance. Dont le parcours s’est bouclé à cheval sur la case banqueroute et la case prison.