Le terroir… En quelques années, ce terme s’est taillé une belle place au sein de l’arsenal publicitaire quand il s’agit de promouvoir tout un tas de produits locaux. On pensera au fameux «goût du terroir». Un terme d’ailleurs spécifique à la langue française et très difficile à traduire.

Mais de quoi parle-t-on au juste lorsque l’on invoque à tour de bras ce concept? Notre terroir a-t-il réellement une saveur spécifique et, si oui, comment celui de La Côte se caractérise-t-il?

Un début de définition

En 2010, l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) se hasardait à donner une définition du terroir vitivinicole:

«Le «terroir» vitivinicole est un concept qui se réfère à un espace sur lequel se développe un savoir collectif, des interactions entre un milieu physique et biologique identifiable et les pratiques vitivinicoles appliquées, qui confèrent des caractéristiques distinctives aux produits originaires de cet espace.

Le «terroir» inclut des caractéristiques spécifiques du sol, de la topographie, du climat, du paysage et de la biodiversité.»

Selon Frédéric Lamy, maître d’enseignement en sciences du sol et de l’environnement à Changins, il s’agit d’une définition satisfaisante qui peut s’appliquer à l’ensemble de ce qui est produit par le secteur agricole.

Le roi climat

«S’il fallait hiérarchiser ces différents facteurs sur leur importance respective, le climat arriverait probablement en tête de ceux qui influencent le plus la production végétale», précise le spécialiste.

Et celui de La Côte présente des caractéristiques favorables à un large spectre d’exploitations. Moins chaud que le Tessin ou le Valais, mais davantage qu’un canton comme Fribourg, La Côte bénéficie aussi d’une pluviométrie favorable. «Avec en moyenne 1000 mm de précipitation par an, soit deux fois plus que le voisin valaisan, la région est armée pour accueillir une grande variété de cultures», poursuit Frédéric Lamy.

Le poids du sol

Le sol – sa composition et sa topographie – constitue évidemment un des autres facteurs clés qui façonnent notre terroir. Et celui de la région brille par la diversité de ses caractéristiques.

«Avec ses 17 000 ans au compteur, notre sol est, en réalité, très jeune d’un point de vue pédologique», expose Christian Streit, agronome, agriculteur et viticulteur à Aubonne, passionné de pédologie, science qui étudie les caractères physiques et chimiques des sols.

A cette époque, les mouvements du glacier du Rhône ont eu l’effet d’un gigantesque bulldozer, façonnant notre topographie. «Il y a eu la création d’une multitude de microreliefs, avec à la clé une véritable complexité, synonyme de diversité», abonde Frédéric Lamy.

Avec en moyenne 1000 mm de précipitation par an, la région est armée pour accueillir une grande variété de cultures.

Frédéric Lamy, maître d’enseignement en sciences du sol et de l’environnement à Changins

Pour faire simple: les grandes cultures s’épanouissent sur le plateau proche du lac sur des sols profonds et fertiles, les vignes sur les petits reliefs aux sols peu profonds et les alpages sur les hauteurs. On retrouve ici l’influence du climat: les températures qui varient selon l’altitude ou encore la configuration des sols et leur capacité à stocker les précipitations. «Les grandes cultures ont besoin d’un sol profond et fertile au contraire de la vigne», illustre le spécialiste de Changins.

La richesse du sol constitue un autre facteur déterminant. Une terre abondante en éléments nutritifs sera adaptée à des plantes exigeantes comme les céréales. Et pour Christian Streit, c’est là que le goût du terroir, ou plutôt son odeur, se niche. «Bien sûr que je sens ma terre, la vie qui s’y trouve lui donne une odeur particulière. C’est un héritage qu’il nous faut préserver.»

Le savoir-faire humain

L’agriculteur introduit un autre élément déterminant pour qui cherche à cerner le concept de terroir: le facteur humain. Cela peut passer par des pratiques spécifiques, un savoir-faire local ou encore des traditions que l’on perpétue.

Comme pour le reste, l’influence humaine s’exprime aussi et peut-être même surtout dans ses interactions avec les autres systèmes. «Certaines pratiques et connaissances sont par ailleurs utiles pour amoindrir les effets d’autres facteurs du terroir, comme le climat, par exemple», précise Frédéric Lamy.

Faire avec la sécheresse, le gel précoce ou encore des températures globalement à la hausse. Le savoir humain constitue un formidable outil d’adaptation. D’adaptation, mais aussi de préservation de ces précieuses ressources, notamment en favorisant la biodiversité. «Cette richesse, cette fertilité, c’est notre patrimoine. Nous devons en prendre soin», rappelle Christian Streit.

Insaisissable et évolutif

Maintenant que tout cela est posé, qu’en est-il du terroir de La Côte? Est-il possible d’en dégager une carte d’identité? Et si c’est le cas, quelle serait sa marque?

Du point de vue de Frédéric Lamy, la question est complexe car elle mêle une réalité factuelle et scientifique à des notions plus culturelles, identitaires et régionalistes. Du climat, du sol jusqu’au goût final, le chemin est très long et passe par l’homme qui fera parler son savoir-faire, mais aussi sa propension à la narration.

Bien sûr que je sens ma terre, la vie qui s’y trouve lui donne une odeur particulière.

Christian Streit, agronome, agriculteur et viticulteur à Aubonne

Au final, le terroir d’une région ne serait-il pas l’addition de toutes les productions qu’il propose? Alors celui de La Côte brillerait par la richesse et la diversité de son offre.

Une chose est sûre et contrairement à une idée reçue: le terroir n’est pas figé, il est même destiné à muter, ne serait-ce qu’à cause de son imbrication avec le climat. «Quand mon père a planté du merlot et du cabernet franc, on pensait que ces cépages n’allaient jamais murir. Aujourd’hui, avec la hausse des températures, cela ne pose aucun problème», exemplifie Christian Streit.

Notre terroir existe-t-il vraiment?

On le sert à toutes les sauces, mais le terroir n’est, en définitive, pas une bête facile à cerner. Tentative de définition avec un spécialiste et un ardent défenseur.