La musique folklorique suisse alémanique, chère au patron, résonne encore entre les murs du Café du Chemin de Fer en cet après-midi du 11 janvier, à Rolle. Les notes n’accompagnent plus l’ouverture matinale de la pinte vaudoise, à 5 heures du matin, mais le déménagement de l’emblématique couple à Lausanne.

Meinolf Wertmann et son épouse Marty Wertmann-Breukelaar tenaient le bistrot depuis avril 1993. Ils viennent de passer le flambeau à leur chef cuisinier et son épouse (lire encadré), comme le racontait «24heures». Le patron, à 68 ans, prend une retraite bien méritée. Quant à son épouse, plus jeune de sept ans, elle a décroché un emploi au siège des Routiers suisses, à Echandens.

Le dernier service a eu lieu le 23 décembre, entre joie et tristesse. «C’était un jour de rêve, confie la patronne, très émue à l’idée de tourner la page de ce pan de sa vie. Tous les gens que l’on aimait étaient là, il y avait une très belle ambiance et on a servi énormément de nos cordons-bleus. Je serais bien restée encore un petit peu ici! J’adore notre clientèle qui va me manquer. Elle était super sympa, locale, internationale et de toutes les couches sociales.»

Marty Wertmann-Breukelaar et son époux Meinolf Wertmann se sont installés à leur compte en 1993 à Rolle. Le couple a fait de la pinte une véritable institution. Photo: Sigfredo Haro

Douche gratuite pour les routiers

Et la pinte marchait du feu de Dieu. Le bistrot, un relais routier depuis que le couple l’avait repris, était souvent complet. Le trio gagnant: la cuisine composée de mets traditionnels, dont la fondue, les hamburgers, les cordons-bleus et leur fameuse sauce chili; l’accueil et l'ambiance chaleureuse et conviviale; le décor de vieux bistrot boisé, orné autant de morbiers, de lampes murales, de tableaux, de décorations un brin kitsch lors des fêtes que d’emblèmes folkloriques.

Je serais bien restée encore un petit peu ici! J’adore notre clientèle qui va me manquer.

Marty Wertmann-Breukelaar propriétaire du Café du Chemin de Fer

Toutes les couches de la population s’y croisaient et mangeaient parfois à la même table le copieux plat du jour au prix de 16 francs, à midi comme le soir. «Un jour, se souvient Marty Wertmann-Breukelaar, une dame est entrée vêtue d’un manteau de fourrure, son fils était à l’école internationale du Rosey. Comme il n’y avait plus de place, on lui a proposé de partager la table d’un chauffeur routier. Cela a donné lieu à un très joli moment d’échange. C’était souvent ainsi, très animé et convivial, j’adorais cela et cela me faisait chaud au cœur.»

Au service, la patronne, toujours chaleureuse et attentive, était pour beaucoup dans cet état d’esprit propice au partage entre les convives. La maîtrise de l’anglais, de l’allemand et du schwytzertütsch figuraient au rang des atouts du couple. Marty Wertmann-Breukelaar est née aux Pays-Bas, son mari en Allemagne. De quoi accueillir aussi bien les locaux, les expatriés que les routiers qui, en prime, disposaient à Rolle d’une douche chaude gratuite.

Du limoncello pour les vitamines

«Des coins comme cela, il n’y en a plus beaucoup. J’espère que c’est une page qui se tourne et pas un livre qui se ferme, confie Philippe, de Rolle, un habitué des lieux. Ce café est une véritable institution. Outre de bien y manger pour un excellent rapport qualité-prix, le bistrot avait cette dimension sociale à part. Et Marty a le sens du commerce dans le sang. Elle avait toujours un petit mot gentil pour chacun et se souvenait des habitudes de tous ses clients.»

A tel point que la patronne adaptait les menus pour sa fidèle clientèle. Parmi elle, la Jeunesse de Mont-sur-Rolle qui, depuis des années, a coutume de venir y déguster les fameux cordons-bleus chaque jeudi soir. «Les jeunes n’aiment pas trop la salade, alors j’ai pris l’habitude de la remplacer par du limoncello pour les vitamines!» se marre-t-elle.

Des souvenirs et des anecdotes, le couple, qui s’est rencontré au Beau-Rivage Palace à Lausanne où tous deux travaillaient, en aurait à la pelle. Les patrons peuvent en tous les cas s’enorgueillir que leur café figure dans le film «Visages, Villages» d’Agnès Varda et de JR, tourné en 2017. Marty Wertmann-Breukelaar a même eu l’honneur de servir une tisane à la cinéaste. Le duo était venu jusqu’à Rolle pour y rencontrer et filmer Jean-Luc Godard. Les deux complices avaient trouvé porte close, malgré un rendez-vous pris.

Meinolf et Marty Wertmann-Breukelaar n’ont pas connu pareil régime. «Un jour, Jean-Luc Godard a ramené notre chien Roxy qui s’était enfui. Mon mari et lui s’étaient connus en promenant leur animal de compagnie respectif», se souvient la patronne.

Dans la continuité avec un petit accent brésilien
«Nous souhaitons garder le restaurant tel quel et poursuivre ce que Meinolf et Marty ont développé, assurent Marcelo et Randrya Caldeira, le couple de nouveaux gérants, d’origine brésilienne. Nous allons garder la même cuisine, le même décor et la même ambiance.» Marcelo Caldeira sera aux fourneaux. Aide de cuisine au Café du Chemin de Fer dès 2000, cuisinier dès 2010, il connaît évidemment tous les secrets de son ancien patron. Son épouse Randrya Caldeira sera en salle. Elle a eu l’occasion de se former auprès de la patronne durant sept mois: «Notre objectif est de fidéliser les clients.» Le couple prévoit de rouvrir début février.

Rolle: Le Café du Chemin de Fer change de voie

Le bistrot de la gare, tenu durant près de 30 ans par Marty et Meinolf Wertmann, change de main. Le couple a remis les clés de sa pinte à son cuisinier et son épouse.