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Squat: entre rébellion et nécessité

Le sociologue genevois Jean Rossiaud s'exprime sur le phénomène.

16 janv. 2013, 00:01
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La suite de notre série: demain, gros plan sur l'histoire du squat nyonnais de la Rue Saint-Jean qui avait fait grand bruit au début des années 1990.

aguenot@lacote.ch

Le Genevois Jean Rossiaud est un familier du phénomène. Et pour cause: il fut chercheur en sociologie et militant politique durant l'âge d'or des squats genevois, une période que l'on situe entre la fin des années 1980 et le début des années 2000. Un véritable mouvement social que le sociologue genevois a tenté de conceptualiser en 2004 dans son étude "Mouvement squat à Genève 1975-2003"*. Aujourd'hui conseiller personnel au Département de la cohésion sociale et de la solidarité à Genève, l'ex-activiste s'intéresse toujours à la question. Il nous livre ici quelques clés de compréhension pour tenter de saisir le phénomène "squat" dans sa globalité.

Existe-t-il des conditions spécifiques permettant l'émergence de squats dans une ville?

Non, on ne peut pas dire exactement cela. Les occupations illégales ou "squats" sont des formes de lutte que l'on retrouve sous toutes les latitudes et, probablement, depuis que la propriété privée existe. Mais à notre époque, il faut d'abord qu'il existe des logements vides, des personnes qui ont besoin de logement et qui n'en trouvent pas à leur bourse.

Quels facteurs entraînent généralement la disparition du phénomène?

Pour exemple, Genève était dans les années 1980, probablement, la ville la plus squattée d'Europe, en pourcentage de sa population. C'était dû au fait que la spéculation immobilière avait laissé de très nombreux logements vides. A la fin des années 2000, une fois les logements réhabilités, les squats ont fermé les uns après les autres. Il n'y a plus de lieux à occuper à Genève aujourd'hui.

La pénurie et le prix des logements dans la région sont évoqués par les squatteurs pour expliquer leur mode d'habitation. Mais ce dernier est également sous-tendu par d'autres motivations.

Chaque individu connaît ses raisons pour squatter: être à la rue, vouloir partir de chez ses parents, rejoindre une personne ou un groupe, être en crise personnelle ou en rébellion contre le système. Mais le squat exprime surtout un désir de vivre dans une "communauté élective", une communauté que l'on se choisit, pour lutter contre l'individualisme et la solitude des sociétés modernes. Quand l'occupation se fait "lutte urbaine", elle se fait contre un aménagement urbain, contre la spéculation immobilière et pour l'expression de nouvelles formes communautaires de contre-cultures.

Les squats flirtent souvent avec la marginalité. D'après vos observations, ces lieux sont-ils générateurs de délinquance?

Squatter est un délit! Une illégalité, que d'un certain point de vue idéologique on peut trouver légitime, mais cela reste illégal. Il est donc bien normal qu'il se situe à la marge et attire une marginalité plus ou moins délinquante.

Mais les squats peuvent également devenir générateurs de culture.

Sans aucun doute. Par exemple, les squats genevois ont produit une contre-culture d'une belle originalité. Elle s'est parfois institutionnalisée depuis.

Comme dit précédemment, Genève a connu une très forte concentration de squats. Aujourd'hui, le phénomène a-t-il migré vers d'autres villes?

Pas à ma connaissance, mais cela peut renaître. Aujourd'hui, la population dans l'arc lémanique augmente plus vite que la construction de nouveaux logements. Il n'y a donc que très peu d'immeubles à squatter. Par contre, des populations misérables, sans logis, sans travail, déclassées en Suisse ou en Europe squattent aujourd'hui dans nos parcs, sous nos ponts; c'est l'expression de la misère urbaine dans les villes riches. Ils ne squattent pas sous tente ou dans des cabanes dans les bois, sur des terrains agricoles ou industriels ou encore en montagne. Ils prétendent au droit à la ville.

Sur l'arc lémanique, pensez-vous que les coopératives immobilières aient pris le relais des squats?

Elles en ont pris le relais idéologique, pour le contrôle de l'environnement construit, le contrôle anti-spéculation par la propriété collective et communautaire. Je pense notamment à la Codha (ndlr: Coopérative de l'habitat associatif. Cette coopérative genevoise est partenaire de la ville de Nyon dans la construction du futur éco-quartier de la route du Stand) . Mais les coopératives luttent dans la légalité, alors que la spécificité du squat est de lutter hors de la légalité. Quant il fait mouvement, le squat est révolutionnaire!

* Etude parue dans "Equinoxe" n o 24, automne 2004, La Fabrique des cultures. Genève, 1968-2000", Ed. Georg.

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