D’abord ce fut le choc total. Chez les Novyk, on ne pensait pas que la guerre succéderait à la reconnaissance par Moscou des Républiques séparatistes du Donbass le 21 février. Trois jours plus tard le temps s’est arrêté: «Je me souviens de l’heure à laquelle mon beau-père a appelé. Il a dit à mon mari ‘c’est la fin, je vous aime beaucoup, il faut se dire au revoir’», raconte Valeriya.

Depuis, le quotidien s’est mué en branle-bas de combat. La colère a fait place à la peur, omniprésente. Dans la cuisine de leur maison à Tannay, son téléphone vibre en permanence. «On a créé un groupe Whatsapp familial, je suis toute la journée en contact avec mes proches: ‘Bonjour, vivant’ », témoigne cette mère de trois enfants née à Dresde et qui a grandi en Ukraine avant d’émigrer en Suisse il y a vingt ans.

On a créé un groupe Whatsapp familial, je suis toute la journée en contact avec mes proches: ‘Bonjour, vivant’.

Valeriya Novyk, Ukrainienne installée à Tannay

Et ils sont nombreux à lui donner des nouvelles (quand il y a du réseau), à faire suivre les alertes à la bombe, des images de destruction. Sa belle-mère vit dans une maison à 20 km de Kiev, avec la grand-mère de 96 ans, la sœur et son fils, tandis que le beau-père défend l’usine familiale à une heure de route. Elle nous montre une photo de lui, AK74 en bandoulière. Difficile de les faire venir en Suisse. «Ils ne veulent pas quitter leur terre, et puis où enterrer la grand-mère si elle meurt en chemin, m’a dit ma belle-mère.»

Stupeur et désespoir

A côté d’elle, son fils Daniil, 19 ans, étudiant en médecine à Genève, oscille entre stupeur et désespoir. «Pendant quatre jours, je n'ai rien pu faire d’autre que regarder les infos.» Avant de confier avoir ressenti une forme de soulagement en voyant la bravoure avec laquelle les Ukrainiens résistaient: «J’ai un ami de 20 ans qui a intégré la défense territoriale, je le connais depuis tout petit, dans le jardin nous jouions à la guerre, c’était drôle. Et quand je pense que maintenant il y est, à la guerre, cela me paraît irréel. Je ne parviens pas à réaliser que chaque jour il risque sa vie.»

Mère et fils se disent atterrés par l’ampleur de la propagande en Russie, par la violence des commentaires sur les chaînes d’Etat et les réseaux sociaux à l’endroit des Ukrainiens. «C’est le déni complet», dit Daniil qui, comme Valeriya ne croit guère en un réveil du peuple russe contre les autorités. Selon elle, les sanctions n’y changeront rien. «Car les gens sont déjà pauvres, 80% de la population n’y perdra rien de plus.»

C’est très important pour nous, nous ne sommes pas seuls.

Valeriya Novyk, Ukrainienne installée à Tannay

Cloitrée dans une attente qui n’en finit pas, la juriste de formation s’active comme elle peut. Pour un ami médecin basé à Dniepr, elle a collecté des talkies-walkies, des kits médicaux auprès de pharmacies et de cabinets privés. «Nous avons trouvé des Ukrainiens partis défendre leur patrie et à qui nous avons donné des cartons.» Elle multiplie les contacts pour aider ceux qui fuient, comme sa sœur, qui devrait bientôt rejoindre La Côte.

Une région où les marques de soutien quotidiennes lui donnent de la force: «Beaucoup de personnes me téléphonent tous les jours, je reçois des messages, la famille Balmer (ndlr: maraîcher à Founex) nous a apporté une caisse de légumes, des amis moldaves vivant en Suisse ont prêté leur maison près de Chisinau pour y accueillir des proches. C’est très important pour nous, nous ne sommes pas seuls.»

Ukraine: Chez les Novyk à Tannay, la peur au quotidien

Installés à Tannay depuis douze ans, Valeriya Novyk et son fils Daniil témoignent d’un quotidien envahi par la peur, alors que beaucoup de leurs proches sont bloqués en Ukraine.