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De Kaboul à Rolle, récit de migration

Née en Afghanistan, Sediga Schatzmann a passé par la Prague communiste avant d’arriver en Suisse. Aujourd’hui, elle s’appuie sur son expérience pour aider les migrants.

17 juin 2019, 10:29
Sediga Schatzmann a su puiser dans son expérience douloureuse de l’exil la force pour aider ceux qui, aujourd’hui, vivent la même situation.

«J’ai la chance d’avoir vécu trois vies: une en Afghanistan, une à Prague et une en Suisse. Je me sens vraiment privilégiée d’avoir réussi malgré les difficultés.» Le parcours de la Rolloise Sediga Schatzmann est un long récit de migration, qu’elle perpétue en travaillant comme interprète et médiatrice interculturelle auprès des migrants.

Née à Kaboul en 1966, d’un père intellectuel pachtoune opposé au régime en place et d’une mère parlant le dari, Sediga évoque «un mélange qui serait quasiment impossible aujourd’hui, au vu de la situation politique.»

Impossible retour

Moins d’une année après l’obtention de son baccalauréat à Kaboul, elle doit s’exiler à Prague, alors capitale de la Tchécoslovaquie, pour étudier. À la fin de son master en économie, elle désire retourner chez elle, mais l’instabilité politique l’en empêche. «Les moudjahidines avaient pris le pouvoir aux Soviétiques et cernaient Kaboul. Ma mère ne pensait pas que ça allait s’améliorer, elle m’a dit de rester là-bas. Après six mois elle m’a incitée à me sauver ailleurs. Pour une fille aux études dans un pays communiste, il aurait été très difficile de revenir», raconte-t-elle avec émotion.

C’est vers la Suisse qu’elle se tourne alors, suivant les conseils d’une famille rencontrée à Prague. Arrivée à Genève, elle enchaîne les foyers, voyageant d’un bout à l’autre du canton de Vaud. D’abord à Corbeyrier, près d’Aigle, puis à Lausanne, et enfin à Prangins, dans un foyer pour migrants. «Quand je suis arrivée dans la région, cela faisait huit mois que j’étais en Suisse. Il fallait que je travaille, parce que dans ma tête ça n’allait pas.»

La langue, premier pas vers l’intégration

Elle ne maîtrise pas encore le français mais parle couramment anglais, tchèque et sa langue maternelle, le dari (persan afghan). Elle obtient des emplois dans l’hôtellerie et, grâce à son conseiller ORP, commence à suivre des cours intensifs de français, notamment au Courtil à Rolle, où elle fait la connaissance de celui qui deviendra son mari et le père de ses deux fils.

Quand je suis arrivée dans la région, il fallait que je travaille, parce que dans ma tête ça n’allait pas.
Sediga Schatzmann

«Pour la langue, j’ai eu la chance de rencontrer Laurent. On ne s’est jamais quittés et on a toujours discuté en français. J’ai pris finalement assez peu de cours.» Le français est aujourd’hui son principal outil de travail. Son plurilinguisme lui permet de venir en aide aux migrants afghans et iraniens qui font leurs premiers pas en Suisse, en tant qu’interprète communautaire pour l’association Appartenances. «Tout ce que je recherchais, je l’ai trouvé dans ce job. Moi, je n’ai pas vu la guerre, je suis partie avant, mais ces gens-là l’ont vécue et ont des traumatismes. C’est très gratifiant d’aider les migrants à transmettre ce qu’ils veulent dire, et d’ainsi éviter qu’ils ne gardent tout à l’intérieur.»

Au quotidien, Sediga sert de médiatrice linguistique entre les travailleurs médico-sociaux et les migrants. Elle fait en sorte d’éviter les conflits, qui proviennent souvent de différences culturelles. «Par exemple en Afghanistan, lorsqu’ils parlent avec des personnes plus âgées, les jeunes ne les regardent jamais dans les yeux. Lors du rendez-vous d’un jeune dont je m’occupe, le médecin m’a dit, furieux, qu’il voulait avoir le contact visuel avec son patient. J’ai dû lui expliquer que le migrant lui témoignait d’un immense respect en évitant à tout prix son regard.»

Double richesse

Sediga Schatzmann considère sa culture étrangère, et celle de tous les migrants, comme une richesse dont doivent profiter les Suisses, en apprenant à respecter la personne avant de s’attarder sur son pays d’origine. «L’intégration, c’est rester proche de ses racines et de ses valeurs, tout en intégrant celles de la Suisse.» C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’elle a élevé ses enfants. «J’essaie de les éduquer en respectant les humains. La double culture est un bagage énorme. Ça me remplit de joie d’entendre mes fils dire qu’ils sont fiers d’être afghans.»

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