Un comble. Un comble parce que la députée socialiste Oriane Sarrasin doit certainement faire partie d’une très petite minorité de femmes de gauche qui a pratiqué et même enseigné le tir. C’est pourtant bien elle qui s’est vue insultée et même violemment menacée après des articles présentant son interpellation développée hier au Grand Conseil.

Intitulé «Non ma fille, tu ne seras pas roi. L’école obligatoire peut-elle être impliquée dans un événement sexiste», son texte interroge le fait que dans certaines communes, les sociétés de tir sont exclusivement masculines et que le traditionnel cortège de l’abbaye, avec la participation de l’école, montre les meilleurs tireurs comme des rois avec des jeunes femmes ne jouant qu’un rôle de «décoration». Pour la socialiste, il convient donc de «s’interroger sur la participation d’écoliers et d’écolières à des événements qui excluent la possibilité pour les femmes de participer et mettent en avant une vision stéréotypée de chaque genre».

«Des balles perdues»

Même si la députée de Crissier était bien consciente qu’il s’agissait d’un sujet sensible, elle reconnaît que jamais elle n’aurait imaginé une telle escalade. Au total, ce sont environ 420 commentaires qui ont été écrits, «dont une bonne partie étaient insultants, dénigrants». Un message disait: «J’espère qu’elle ne passe pas près d’un stand de tir aujourd’hui?» alors qu’un autre évoquait «des balles perdues».

Face à de telles menaces, Oriane Sarrasin «songe très sérieusement à déposer plainte pénale». Les avocats consultés lui ont répondu qu’il fallait cibler les messages les plus problématiques. A l’origine de son interpellation, il y a une expérience personnelle. «J’habite une commune où il y a une abbaye masculine. J’ai assisté pour la première fois cette année au cortège parce que mes enfants sont à l’école. Beaucoup de parents sont venus vers moi, pas forcément de gauche, ni féministes, en disant: ce n’est pas possible, en 2022, quelle image montre l’école?»

L’élue insiste: que des abbayes, sociétés privées, soient masculines dans leur fonctionnement, c’est leur liberté. «Par contre, que l’école publique soit mêlée à des événements de sociétés privées qui ont des fonctionnements que personnellement je trouve sexistes, ça me dérange.»

C’est une mauvaise habitude que de ne rien faire sur ce genre de remarques ou sous-entendus, il ne faut pas laisser passer.

Romain Pilloud, Président du Parti socialiste

Dans son interpellation, elle relève que l’égalité entre hommes et femmes est «une priorité politique et nécessite d’agir». Elle demande par conséquent au Conseil d’Etat s’il y a d’autres activités qui seraient «problématiques» et comment il compte «mettre en conformité les objectifs d’égalité de l’institution scolaire et l’implication des écoles dans certaines activités d’associations».

«Extrêmement grave»

Face à ces menaces, le haut-le-cœur est général. Le Département de l’enseignement et de la formation «condamne fermement ces attaques. Quel que soit le sujet, l’école ou un autre, la démocratie doit pouvoir s’exercer sans aucune menace». Président du Parti socialiste, Romain Pilloud juge ces remarques «tout simplement scandaleuses. Nous soutenons entièrement Oriane Sarrasin dans ses démarches: c’est une mauvaise habitude que de ne rien faire sur ce genre de remarques ou sous-entendus, il ne faut pas laisser passer.»

Alice Genoud, présidente des Verts, se dit «profondément choquée. C’est extrêmement grave, les femmes sont souvent prises à partie sur les réseaux. Nous avons droit au respect, c’est moralement très pénible.» Vincent Keller, chef du groupe Ensemble à Gauche et POP, «défend sans condition la position d’Oriane Sarrasin. Nous condamnons qu’elle soit agressée comme ça. Elle a simplement posé des questions. Elle aurait totalement raison de déposer plainte.»

A droite, Nicolas Suter, chef du groupe PLR, a pris position à titre personnel sur les réseaux. «Je ne soutiens pas son interpellation, mais de tels propos sont inadmissibles. Je m’oppose complètement à ces menaces». Chef du groupe UDC, Yvan Pahud se veut «intransigeant par rapport à de tels propos qui sont condamnés sans hésitation».

J’aimerais que ça change, mais je ne veux forcer personne, en remarquant que les temps changent avec un rajeunissement des abbayes.

Charles-Henri Kohli, Abbé-président de la Fédération des Abbayes vaudoises.

Abbé-président de la Fédération des Abbayes vaudoises, Charles-Henri Kohli est clair: «les menaces de mort, on est contre ce genre de choses. C’est intolérable, ça ne se fait pas.» Il reconnaît en revanche ne «pas très bien comprendre» l’interpellation. Il s’agit de faire la fête et il doute que les jeunes filles se considèrent comme des «faire-valoir», en remarquant qu’il y a parfois aussi des «damoiseaux d’honneur».

Sur l’aspect «bastions masculins», il relève que «ça change progressivement. Avec les Vaudois, il faut prendre le temps et ne pas les pousser. Si on les pousse, ça fait l’effet contraire. J’aimerais que ça change, mais je ne veux forcer personne, en remarquant que les temps changent avec un rajeunissement des abbayes». Sur les 175 abbayes vaudoises, il estime que plus de la moitié accepte des femmes. En janvier dernier, La Liberté détaillait encore le refus de celle de Payerne de s’ouvrir aux femmes.

Raphaël Besson, La Liberté

Vaud: des menaces condamnées par tous

Insultée après une interpellation sur les abbayes, la députée Oriane Sarrasin songe à déposer plainte.