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Le journal lémanique «L’Agefi» connaît une grave crise

Manque de liquidités, non-paiement de cotisations sociales, licenciements: le quotidien économique traverse des tourments. Sa direction tient pourtant bon.

09 mai 2016, 23:13
/ Màj. le 10 mai 2016 à 11:40
Une personne regarde le journal economique L' AGEFI, ce jeudi, 9 avril 2015, a Lausanne. Selon le journal Bilan, la societe qui edite l'Agefi est poursuivie par son ancien imprimeur, qui evoque des problemes de paiement. (KEYSTONE/Laurent Gillieron) SUISSE PRESSE AGEFI

«L’Agefi», l’un des derniers quotidiens romands indépendants, traîne 1,3 million de francs d’arriérés. Une recapitalisation et des investissements sont promis depuis plus d’une année, mais les potentiels investisseurs ne semblent pas pressés de renflouer le journal et se contentent de parer au plus pressé.

Les difficultés se sont accumulées au point que le quotidien s’apprête à déménager, pour partager des locaux avec l’un de ses actionnaires, Aevis, qui détient le groupe des cliniques Genolier. Ce déménagement à Echandens, prévu dans les mois à venir, a fâché plus d’un employé. Il faut dire que les salariés ont déjà avalé beaucoup de couleuvres pour sauver leur titre.

Gel des investissements

«Ça va être délicat», «sujet difficile», «c’est hypersensible»: petite équipe et actionnaires décrits comme très chatouilleux ne font pas bon ménage avec une parole libérée. Mais au final, le besoin de s’exprimer a pris le dessus pour toutes nos sources... à condition d’un anonymat garanti.

Le problème de fond fait très vite surface: le journal perd d’un à deux millions de francs par an pour un chiffre d’affaires d’environ huit millions. Ce déficit était normalement régulièrement comblé par les actionnaires (voir ci-dessous), mais depuis plus d’une année, l’argent ne parviendrait que goutte à goutte.

Les 45 employés ont été revus à la baisse cette dernière année: chez les journalistes, on compte deux démissions et un licenciement, nous informe la direction. Parmi les démissionnaires figure Gilles Martin, l’un des piliers du journal, rédacteur en chef adjoint, qui a annoncé la nouvelle il y a quelques jours.

«On s’affaiblit gentiment. L’équipe est dépitée, fatiguée. Mais il n’y a pas d’union sacrée pour protester», nous dit un journaliste, qui y a travaillé de nombreuses années. «Les communiqués de presse tombent, annonçant la recapitalisation, mais plus personne n’y croit», désespère un autre.

Pendant ce temps, la rédaction envisage un redéploiement sur internet – en maintenant la version papier et les suppléments régulièrement édités. «On nous promet des investissements, alors que nous n’avons pas fini de payer les développements précédents.»

Infraction pénale

Les retards dans les salaires, auxquels les employés se disent habitués, se sont accumulés ces derniers mois. Pire, il y aurait pour 500 000 francs d’impayés de cotisations sociales. Le non-paiement de ces charges est en principe poursuivi d’office et sert souvent de révélateur de graves problèmes au sein d’une société. Il n’est pas rare que l’administration fédérale, via l’AVS, tire la sonnette d’alarme. A «L’Agefi», le personnel le dit clairement: «On aurait aimé que l’AVS leur tombe dessus, ça aurait pu débloquer des choses», nous confie un membre du personnel, qui «s’explique assez mal comment une infraction normalement poursuivie d’office traîne depuis si longtemps». «Ils paient par morceaux, ça fait gagner du temps.»

Les syndicats sont bien sûr au courant. Impressum, syndicat majoritaire au sein des journalistes, a déclaré «suivre la situation de près et être prêt au dialogue». L’organisation espère par ailleurs que «la situation des employés s’améliorera». Patricia Alcaraz, de Syndicom, représente une fraction minoritaire du personnel et s’inquiète: «L’ambiance est tendue, il est très difficile de travailler avec l’actionnaire principal, et de monter un collectif.»

Selon la syndicaliste, non seulement «les journalistes sont peu engagés à la base, mais ils craignent en plus pour leur réputation». Dans une branche sinistrée – elle égrène tous les combats romands du moment, qui touchent de nombreux médias –, elle relève que la solidarité manque, «alors qu’une solution collective donnerait de meilleurs effets».

Des millions injectés

Malgré tous ces problèmes, nos interlocuteurs saluent les efforts du rédacteur en chef, François Schaller, qui «parvient à faire sortir un journal avec des fonds bloqués». Mais ils estiment que la situation sera intenable à long terme.

Pourtant, l’argent n’est pas loin. Deux actionnaires se partagent le gâteau: Alain Duménil, 51%, et Antoine Hubert, via la société Aevis, 49 pour cent. Tous deux sont par ailleurs membres du conseil d’administration.

Le premier, qui habite Crans-Montana, souhaiterait se désengager du journal. Le tarissement actuel des ressources est en majeure partie dû aux problèmes qu’il connaît avec le fisc fédéral. Selon une information de «24 Heures», ses fonds seraient sous séquestre en raison de soupçons graves d’infractions fiscales, à hauteur de 45 millions de francs de revenus non déclarés. Deux sources ont affirmé qu’il aurait tenté de faire pression sur les autorités fédérales, réclamant la libération de ses biens, au risque de faire faillite et de devoir renvoyer les 50 employés de «L’Agefi». En tous les cas, il est, pour l’heure, impossible à l’actionnaire majoritaire d’aider son journal.

Mais le second en aurait les moyens. Selon nos informations, Antoine Hubert aurait investi de huit à neuf millions de francs dans «L’Agefi» ces dernières années.

Au sein de l’équipe, c’est donc l’incompréhension: pourquoi n’a-t-il pas encore lancé la procédure de recapitalisation, malgré son intérêt apparent pour le journal? L’une des théories serait qu’il tienne la tête du journal «juste au ras de l’eau», attendant le dernier moment pour intervenir en sauveur. Nous avons tenté de le joindre, malheureusement sans succès.

Laura Drompt

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