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Forfaits fiscaux: les Suisses accepteront-ils de tuer la poule aux oeufs d'or?

L'initiative soumise au peuple le 30 novembre prochain "Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires" veut supprimer la possibilité de bénéficier d'un forfait fiscal pour les riches étrangers résidant en Suisse. Le peuple et les cantons accepteront-ils de se défaire de cette poule aux oeufs d'or?

20 oct. 2014, 08:08
Jo-Wilfried Tsonga saura le 30 novembre s'il peut continuer à bénéficier d'un forfait fiscal en Suisse. L'initiative "Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires" veut supprimer cette possibilité.

Jo-Wilfried Tsonga saura le 30 novembre s'il peut continuer à bénéficier d'un forfait fiscal en Suisse. L'initiative "Halte aux privilèges fiscaux des millionnaires" veut supprimer cette possibilité. Mais la majorité du peuple et surtout les cantons risquent de refuser de tuer la poule aux oeufs d'or.

Les étrangers n'exerçant pas d'activité lucrative en Suisse peuvent échapper à l'impôt sur le revenu et la fortune grâce à l'imposition selon la dépense. Plus leur train de vie est important, plus la note est élevée.

Les collectivités en ont profité. Grâce à 5634 bénéficiaires, la formule a rapporté 695 millions de francs fin 2012, dont près de la moitié aux cantons (325 millions). Les caisses fédérales ont reçu 192 millions et les communes 178 millions.

Les cantons romands et les cantons touristiques sont les plus friands. Trois quarts des bénéficiaires de forfait habitent Vaud, le Valais, le Tessin, Genève, les Grisons et Berne. Ceux des cantons lémaniques, pionniers de la formule, ont rapporté 208 millions (VD) et 156 millions (GE) de recettes en 2012.

Equité fiscale violée

Pour la gauche à l'origine de l'initiative, l'impôt forfaitaire viole toutefois l'équité fiscale. Selon la constitution, tous les citoyens doivent être taxés en fonction de leur capacité économique. Il n'y a pas lieu de privilégier les riches étrangers au détriment des Suisses ni d'encourager les cantons à une surenchère malsaine.

Les autorités bénéficient en outre d'une grande marge d'appréciation, propice à l'arbitraire. Et l'interdiction d'exercer une activité lucrative n'est souvent pas contrôlée, ce qui permet par exemple à l'oligarque russe Viktor Vekselberg de gérer activement son conglomérat en Suisse, dénoncent les initiants.

Pour eux, ce système injuste n'est même pas nécessaire. Les cantons qui lui ont tourné le dos n'ont pas fait faillite, l'importance des forfaits est surestimée.

Au moins 400'000 francs

Une partie de la population partage ce point de vue. Zurich, Schaffhouse, Appenzell Rhodes-Extérieures, Bâle-Ville et Bâle-Campagne ont abrogé les forfaits. Les Genevois auront le choix le 30 novembre entre leur suppression et un relèvement du seuil minimum de dépenses.

Berne, St-Gall, Thurgovie, Lucerne et Appenzell Rhodes-Intérieures ont déjà durci des conditions d'octroi. C'est aussi la stratégie retenue par le Conseil fédéral et la majorité bourgeoise du Parlement pour couper l'herbe sous le pied de l'initiative. Dès 2016, seuls les étrangers déboursant au moins 400'000 francs par an pourront bénéficier d'un forfait pour l'impôt fédéral direct.

Le minimum imposable par les fiscs cantonal et fédéral passera de cinq à sept fois le loyer ou la valeur locative du logement. Pour les étrangers qui séjournent à l'hôtel, la barre sera relevée de deux à trois fois le prix de la pension. Selon le Conseil fédéral, ce compromis réduira l'inéquité fiscale en préservant l'attractivité de la Suisse.

Double tranchant

Supprimer le système risque de faire fuir des contribuables aisés très mobiles et de mettre en danger 22'000 emplois et de nombreuses PME. Sans compter les 25 à 35 millions de cotisations AVS payées par les bénéficiaires et les contributions aux activités culturelles, sociales ou caritatives, défendent les ministres cantonaux des finances.

Déjà touchés par la limitation des résidences secondaires, les cantons alpins comme le Valais, le Tessin ou les Grisons craignent de ne pas s'en remettre. Tous n'ont pas les mêmes atouts à faire valoir que Zurich, canton qui a tout de même perdu près de la moitié des riches étrangers depuis l'abolition des forfaits. Des communes grisonnes inquiètes font même campagne contre l'initiative.

Faute de pression internationale, il n'y a de toute façon aucune nécessité de supprimer un système qui a fait ses preuves, assurent les opposants. Pas question de forcer la main des cantons, d'autant que la population de certains a déjà refusé d'abolir les forfaits. Si le "oui" l'emporte, ce mode de taxation ne survivra toutefois pas au-delà de fin novembre 2017.

La Suisse pas seule

La Suisse ne fait pas bande à part en proposant des forfaits fiscaux. Un certain nombre de pays utilisent des régimes analogues pour doper leur compétitivité fiscale et attirer de riches étrangers.

La Grande-Bretagne connaît le statut de "résident non domicilié". Les personnes habitant depuis un certain temps sur son sol sans y être domiciliées ne sont imposées que sur les revenus de source britannique ou ramenés en Grande-Bretagne. Selon la Conférence des directeurs cantonaux des finances, le Japon, l'Irlande ou Malte peuvent aussi renoncer à taxer les revenus non transférés dans leur pays.

Hong Kong et Singapour pratiquent un système territorial: ils n'imposent pas les revenus provenant de l'étranger. La Chine, l'Espagne, le Portugal et la Belgique réservent un traitement analogue à une partie de leurs contribuables, à condition qu'ils aient établi leur domicile fiscal chez eux pendant une durée limitée, souvent cinq ou dix ans.

Pour les personnes n'ayant pas résidé au Portugal depuis cinq ans, Lisbonne taxe à hauteur de 20% tous les revenus générés dans le pays. L'Autriche offre des privilèges fiscaux aux personnes dont l'établissement relève de l'intérêt public. Des régimes spéciaux existent aussi au Liechtenstein, au Luxembourg et aux Pays-Bas.

Belgique, havre fiscal français

Bruxelles n'imposant ni la fortune ni les plus-values sur le patrimoine privé, la Belgique s'est transformée en havre fiscal pour de nombreux Français. Selon le quotidien économique belge "L'Echo", vingt des 100 plus grosses fortunes de l'Hexagone s'y seraient établies, dont brièvement Gérard Depardieu, ce qui avait défrayé la chronique en 2012.

La France est très remontée contre ces pratiques qui lui font perdre des contribuables. En janvier 2013, elle a décidé unilatéralement de ne plus accorder le bénéfice de la convention contre la double imposition à ses ressortissants bénéficiant d'un forfait fiscal en Suisse. Elle a aussi dénoncé pour la fin de l'année la convention bilatérale sur les successions.

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