«Nous avons une responsabilité envers les générations à venir». Dans le train, ces quelques mots reviennent à plusieurs reprises, comme un credo. Mardi 28 mars, nous accompagnions une délégation des Aînées pour la protection du climat jusqu’à Strasbourg.

Ce mercredi matin, ces femmes de Suisse, toutes âgées de 64 ans ou plus, avaient rendez-vous à la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour, espéraient-elles, obtenir la condamnation de la Suisse pour sa politique climatique jugée insuffisante.

La Suisse, selon elles, ne respecterait pas ses obligations de protection à l’égard de sa population, notamment les femmes âgées. Celles-ci verraient leurs problèmes de santé particulièrement aggravés par les pics de chaleur et les canicules.

Après avoir été déboutées devant les tribunaux suisses, jusqu'au Tribunal fédéral, c’est donc au niveau européen qu’elles ont choisi de porter leur combat.

«Chaque année, on souffre un peu plus de la chaleur», se désole Maryelle Budry qui, malgré ses 80 ans, est toujours conseillère municipale Ensemble à Gauche à Genève. En plus d’être membre des Aînées, elle est également requérante à titre personnel, pour donner plus de poids au recours.

Engagée de longue date pour la cause environnementale, elle précise: «ma motivation à recourir ne vient pas tant de ma situation personnelle que de la responsabilité que l’on a vis-à-vis des futures générations.»

null

La Genevoise Maryelle Budry, 80 ans, recourt en tant que membre des Aînées pour la protection du climat et à titre individuel. Photo: Florent Hiard

Un instrument d’action populaire

Une motivation qui se retrouve dans la genèse même de l’association. «Au niveau parlementaire, on entendait bien les beaux discours, mais peu de choses avançaient», soutient Anne Mahrer, ancienne conseillère nationale (Verts/GE) et co-présidente des Aînées.

En contact, entre autres, avec Greenpeace et des avocats, l’idée est finalement venue de passer par la voie judiciaire, sur le modèle des Pays-Bas où, en 2015, l’association Urgenda avait fait condamner l’Etat, avec obligation d’accélérer la réduction de ses émissions de CO2.

«Pour mettre toutes les chances de notre côté, nous avons cherché quelle part de la population était la plus à risque. Il s’avère que ce sont les femmes âgées», détaille-t-elle. L’association est ainsi créée en 2016.

null

Dans le hall de la gare de Bâle, entourées de journalistes, les Aînées pour la protection du climat se regroupent pour la fin du trajet jusqu’à Strasbourg.
Photo: Florent Hiard.

La réponse suisse

Recourir à titre individuel pour le bien commun: une tactique a été dénoncée par la Suisse, entre autres, devant les 17 juges de la CEDH. Après avoir reçu la parole par la présidente irlandaise du Jury Síofra O’Leary, le représentant principal de la Confédération, Alain Chablais, a rappelé qu’une action populaire ne pouvait pas se cacher derrière une action individuelle.

Il a aussi rejeté l’idée qu'il suffirait de faire partie d’une catégorie à risque pour se déclarer victime à titre individuel.

Franz Perrez, à gauche, et Alain Chablais, à droite, étaient les deux principaux défenseurs de la Suisse à la CEDH face aux Aînées pour la protection du climat.
Photo: KEYSTONE/Jean-Christophe Bott

Surtout, Alain Chablais a insisté sur le fait que, pour la Suisse, la CEDH n’est pas le lieu adéquat pour décider les politiques nationales de protection du climat. «L’élaboration des politiques climatiques demeurera un exercice essentiellement politique et démocratique.»

Il n’est pas possible de se plaindre d’une violation en se focalisant de manière isolée sur un seul acteur à la contribution limitée.

Franz Perrez, Direction du droit international public au Département des affaires étrangères

Enfin, il a souhaité rappeler l’engagement de la Suisse sur le plan climatique, avec notamment l’objectif d’atteindre le net zéro d’émissions carbone d’ici à 2050.

En appui, Franz Perrez, à la tête de la Direction du droit international public au Département des affaires étrangères, a soutenu que la Suisse s’engageait de longue date pour mettre en place un cadre international en faveur du climat.

De plus, selon lui, l’impact suisse sur le climat serait négligeable par rapport à celui d’autres pays. «Dans une situation où seules les actions combinées de nombreux acteurs conduisent à des restrictions des droits de l’homme, il n’est pas possible de se plaindre d’une violation en se focalisant de manière isolée sur un seul acteur à la contribution limitée.»

«La chaleur tue»

De son côté, Jessica Simor, avocate des Aînées pour la protection du climat, a souligné que le réchauffement climatique impacte déjà la santé des requérantes. «Personne ici ne peut contester que la chaleur tue.» Précisant les problèmes de santé individuels des requérantes, elle a affirmé qu’elles étaient bien en droit de se présenter en tant que victimes.

Swiss seniors are protesting outside the European Court of Human Rights Wednesday, March 29, 2023 in Strasbourg, eastern France. A group of Swiss seniors are taking their government to the European Court of Human Rights to demand more action on climate change which, they say, is seriously affecting their lives. (AP Photo/Jean-Francois Badias) © Copyright 2023 The Associated Press. All rights reserved.

La délégation a eu droit à un soutien coloré. KEYSTONE/AP

Elle a reproché à la Suisse ses objectifs de réduction des émissions de CO2, qui seraient inadéquats pour le maintien du réchauffement climatique sous la barre des 1,5°C. Elle a par ailleurs rappelé que la Suisse ne parvenait déjà pas d’atteindre ces dits objectifs, notamment en 2020, faute d’outils législatifs appropriés.

Second avocat des requérantes, Marc Willers a soutenu que chacun doit faire sa part, y compris la Suisse qui a un devoir d’exemplarité. «Si un pays aussi riche et techniquement avancé ne prend pas sa juste part des responsabilités, d’autres Etats ne le feront pas non plus.»

Pas de boule de cristal

A l’issue de l’audience, tout le monde a repris son souffle. La décision de la Cour ne tombera pas avant une date ultérieure, non précisée, et personne n’ose de pronostic. Du côté des requérantes, on se dit plein d’espoir. «J’ai senti beaucoup d’intérêt et de bienveillance dans les questions des juges», souligne Stefanie Brander.

De son côté, Raphaël Mahaim, conseiller national (Verts/VD), également avocat des Aînées pour la protection du climat, souligne le caractère historique de cette audience.

«Les juges sont à mon avis conscients qu’ils vont tracer une voie importante dans la jurisprudence sur la question climatique». Le conseiller national vaudois note que leurs questions abordaient des points allant bien au-delà du cas présent, notamment quelle part équitable de l’effort mondial incombe réellement à la Suisse.

Reste à voir si cette audience aura un impact sur le prochain référendum du mois de juin sur la loi pour le climat.

Climat: des femmes entament une marche pour faire bouger la Suisse

La Marche Bleue a débuté. Elle doit mener les participantes de Genève à Berne avec la remise d’une pétition demandant que la Suisse respecte l’accord de Paris sur le climat.