Vu des champs, ce ne sont que de grands bâtiments gris, remplis de fonctionnaires déconnectés. Cette image colle aux bottes de l’Office fédéral de l’agriculture (Ofag), accusé de (presque) tous les maux.

La Révolte agricole suisse, ce groupe d’agriculteurs en colère, lui en veut. Les contrôles excessifs? C’est l’Ofag. Les directives jugées absurdes? Encore l’Ofag. La complexité du système? Toujours l’Ofag.

Attaqué, l’office nuance et se défend. Il vient d’adresser ses réponses aux revendications des agriculteurs. Son directeur Christian Hofer nous a choisis pour livrer en primeur sa vision de la crise. Interview.A lire aussi: Des agriculteurs déposent une pétition à Berne: «A nos yeux, le système actuel ne fonctionne plus»

Christian Hofer, le directeur de l’Office fédéral de l’agriculture. Photo: KEYSTONE/Jean-Christophe Bott

Christian Hofer, cette expression de la colère des agriculteurs, l’avez-vous vue venir?

Je n’ai en tout cas pas été surpris car j’ai moi-même été agriculteur. Ils sont confrontés à une hausse des coûts ainsi qu’à une augmentation du travail administratif et demandent de meilleurs prix pour leurs produits. Tout cela provoque des mécontentements, que je comprends.

Cela dit, je salue le fait qu’en Suisse, les actions restent pacifiques.

Cette colère, vous la partagez?

Oui, parfois. Pour certaines exploitations, les revenus sont aujourd’hui trop bas et joindre les deux bouts devient difficile. Par contre, il ne faut pas oublier que toute la société est confrontée à une hausse des coûts, des loyers par exemple.

Les agriculteurs le savent: si leurs demandes vont trop loin, ils risquent de perdre l’important soutien politique et populaire dont ils jouissent aujourd’hui. Au Parlement, 30 à 40 élus défendent fortement l’agriculture et influencent les décisions. Ce n’est pas le cas de tout le monde.

Nous travaillons depuis plusieurs années sur certaines revendications reprises par la Révolte agricole.

Christian Hofer, directeur de l’Office fédéral de l’agriculture

Les conditions des agriculteurs sont difficiles depuis longtemps. Qu’est-ce qui a été fait de faux?

Il ne faut pas chercher des coupables. A l’Ofag, nous travaillons depuis plusieurs années sur certaines revendications reprises par la Révolte agricole.

Prenez la simplification de la politique agricole: en collaboration avec la branche et les Cantons, nous avons réalisé un rapport en 2016 sur cette question.

L’une des conséquences a été une réduction significative du nombre de contrôles. Mais depuis, il y a eu les initiatives en 2021 (réd: «Eau propre» et «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse», dites initiatives «phytos») et le Parlement a décidé d’une réduction progressive de l’usage de fertilisants et des produits phytosanitaires.

L’Ofag a eu le mandat de mettre en œuvre ces mesures, qui ont amené davantage de complexité. Une partie du travail de simplification a été neutralisée… Mais c’est notre rôle d’accompagner les agriculteurs afin que leur travail puisse se conjuguer avec les attentes de la société, notamment en matière d’environnement et de biodiversité.A lire aussi: Les paysans suisses remettent leurs revendications à Guy Parmelin et aux principaux détaillants

Récemment, vous avez dit que «si les consommateurs exigent des fruits parfaits, ils doivent savoir que les pesticides sont nécessaires». Or ils veulent des fruits parfaits sans pesticides…

Concilier ce qui apparaît parfois comme une contradiction est l’essence des discussions autour de la prochaine politique agricole PA30+. Cela dit, il faut bien comprendre que l’agriculture n’est qu’un acteur d’une grande chaîne.

Consommateurs, détaillants, industrie, politique et agriculteurs doivent tous tirer à la même corde si nous voulons avoir un système agroalimentaire plus durable en Suisse.

L’objectif de l’Ofag est que les agriculteurs fassent partie de la solution et non pas du problème.

Christian Hofer, directeur de l’Office fédéral de l’agriculture

Dans ce cadre, l’objectif de l’Ofag est que les agriculteurs fassent partie de la solution et non pas du problème. Travailler de la sorte permet aussi de les sortir du rôle de victimes des politiques agricoles et environnementales et de les placer dans le rôle d’acteurs.

Le défi, c’est que l’agriculteur est dans l’ici et le maintenant, alors que l’Ofag doit aussi penser au futur de l’agriculture. Nous essayons donc de conjuguer ces deux temporalités. Loin de moi l’idée de dire que nous ne faisons pas de fautes, mais simplement d’expliquer que nous ne sommes pas seuls dans ce système.

Est-ce que les agriculteurs le comprennent? Par exemple, les pendillards permettent un épandage plus précis qui réduit la pollution mais c’est un appareil obligatoire qui coûte cher…

C’est notre rôle de le leur expliquer. Il faut rappeler l’historique: l’obligation d’utiliser un pendillard a été décidée par le Parlement après avoir été annoncée il y a quinze ans.

Pendant ce temps, la Confédération a soutenu l’utilisation et l’achat de ces appareils avec un budget de 189 millions de francs, justement pour aider les agriculteurs à se mettre en conformité avec la loi sur la qualité de l’air.A lire aussi: Dettes, salaires et contributions publiques: l’économie agricole suisse en chiffres

Ça doit être frustrant de voir que des élus à Berne veulent aujourd’hui un retour en arrière.

(Il sourit). C’est le mandat de l’Ofag de mettre en œuvre les décisions des représentants de la population. Ce n’est pas toujours facile, mais nous devons faire preuve de flexibilité, quand bien même il arrive qu’une mesure dont l’effet n’a pas encore été analysé soit déjà remise en cause.

Sur internet, une vidéo caricature un fonctionnaire de l’Ofag qui réalise des contrôles excessifs avec un accent alémanique. Trouvez-vous injuste d’être accusé de tous les maux?

Vous savez, l’administration sait aussi faire preuve d’humour, mais il faut savoir que nous ne sommes pas responsables de tous les contrôles. Beaucoup sont de la responsabilité des labels tels que Bio Suisse ou IP Suisse.

Par contre, c’est vrai que nous ressentons parfois une méconnaissance du rôle des différents acteurs, mais je ne me plains pas: c’est notre travail de communiquer sur notre activité. Il est intéressant de préciser que régulièrement, c’est l’Ofag qui dit non à des mesures qui complexifient le système et qui ne sont pas dans l’intérêt des agriculteurs.

Mais, peu importe: aujourd’hui, l’Ofag doit prendre le taureau par les cornes, entendre les mécontentements et utiliser sa marge de manœuvre pour réagir. Il y a des attentes et nous devons y répondre avec des mesures simples et compréhensibles.

C’est certainement plus simple de se plaindre que de montrer le chemin à prendre pour régler les problèmes.

Christian Hofer, directeur de l’Office fédéral de l’agriculture

Aujourd’hui, l’agriculteur doit aussi bien être chef d’entreprise, administrateur, que juriste… N’a-t-on pas raté quelque chose?

Le métier d’agriculteur a beaucoup évolué, en effet. Dans le cadre des formations, il y a déjà des cours de politique agricole et sur ce point, les Cantons et la branche ont une responsabilité importante. D’ailleurs, un récent rapport montre que la formation joue un rôle important sur le revenu des agriculteurs.

Vous dites aussi que la complexité du système a atteint ses limites. N’est-ce pas un appel à la révolution?

Nous n’avons pas besoin d’une révolution, mais d’une intensification du dialogue. J’appelle aussi la branche à faire part de ses propositions afin de construire ensemble un système plus efficient.

Vous dites qu’il est trop facile de se plaindre…

C’est certainement plus simple de se plaindre que de montrer le chemin à prendre pour régler les problèmes. C’est pour cela que l’Ofag cherche à faire émerger des idées: nous engageons des agriculteurs, nous créons des groupes de travail dans les régions et organisons des ateliers.

Certaines idées sont même parfois récompensées.

La Liberté

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